De la capitale au Pays Basque

retraite d'une famille bourgeoise

Arnaga : un dessein commun

La Belle-Epoque pour les Rostand est synonyme de leur installation définitive au Pays Basque avec la construction de la Villa Arnaga. Comme une large frange de cette bourgeoisie ouverte aux idées de progrès et d’invention, les Rostand se tournent vers les nouveautés et les innovations. Ils font appel à Joseph-Albert Tournaire, architecte de la Ville de Paris, pour bâtir leur rêve. La Villa et ses jardins reflètent l’audace du maître d’oeuvre qui a réussi un syncrétisme de plusieurs styles. Les innovations techniques de la révolution industrielle se trouvent là magnifiées tout en restant discrètes : les réseaux électriques, téléphoniques, d’eau et de chauffage restent invisibles.

A l’origine, une villa est un domaine foncier de l'époque romaine, mérovingienne ou carolingienne. La signification contemporaine de la villa est une création à part entière du 19ème siècle, elle désigne une grande habitation proche d'une ville. Son intervention accompagne la montée en puissance de la classe bourgeoise, pour qui elle constitue une alternative plus économique que l'hôtel particulier urbain, et plus séduisante que l'immeuble.

Jusqu'en 1850, la différence entre une grande villa rurale ou suburbaine et un château est minime, la clientèle restant la même. Dans la deuxième moitié du 19ème siècle et le début du 20ème, l’époque où les Rostand font bâtir Arnaga, la villa se définit comme une réduction d'un château, qui en reprend les caractéristiques mais en les miniaturisant et en les déformant. Le style est souvent très chargé, avec de nombreux détails d’architecture. Edmond Rostand, lui-même, imagine et conçoit bon nombre d’aménagements architecturaux s’inspirant de ses voyages en Pays basque et dans le nord de l’Espagne. Le Musée détient quelques-uns des croquis que le poète a tracés et repris par Joseph Tournaire. Cet éclectisme se retrouve dans plusieurs pièces de la Villa : classique dans la salle à manger, empire dans le bureau, orientalisme dans le fumoir et dans la garde-robe de Rosemonde, arts and craft dans le studio des enfants, mauresque dans les ouvertures du boudoir, …

SAM

La sensibilité des deux poètes se retrouve dans les agencements d’intérieurs et des jardins. En témoigne cette anecdote de Raymond Lerouge, précepteur des enfants Rostand : « Après déjeuner, un des plaisirs favoris [d’Edmond Rostand] était de chercher de nouvelles combinaisons d'ameublement. C'était son jeu à lui, et il aimait qu'on y entrât. Que de fauteuils nous avons roulés ensemble; de tapis tirés, de tentures déployées de cadres accrochés et décrochés. Le poète trouvait là, du reste, l'occasion d'un bon exercice physique. » (« Edmond Rostand intime » dans la Revue des Deux mondes du 1er avril 1930)

Une installation en famille

Edmond Rostand vient à Cambo-les-Bains sur les conseils de son médecin, le docteur Grancher. Il s’installe à la Villa Etchegorria avec sa famille, Rosemonde Gérard, ses enfants, Maurice et Jean et ses domestiques. Cette vie, loin de la trépidante capitale, lui convient bien.

« Pourquoi je suis revenu au Pays Basque ? Je n’en sais trop rien moi-même.(…) Pourquoi donc le Pays basque, où je n’ai vécu que peu de mois, m’a-t-il donné cette envie sourde d’y revenir, alors que d’autres endroits, où j’ai passé des années, m’ont laissé indifférent ? La maladie m’aurait-elle modifié en me rendant plus sensible aux influences extérieures ? » Edmond Rostand

Mme Lee

Edmond Rostand n’est pas venu seul à Cambo-les-Bains. Sa famille l’accompagne : son épouse, Rosemonde Gérard, ses fils, Maurice, 9 ans, et Jean, 6 ans, Mme Sylvie Lee, la mère de Rosemonde et leurs nombreux domestiques. Paul Faure, ami et confident d’Edmond Rostand, évoque l’ambiance de la maisonnée lors de sa première visite à la Villa Etchegorria  « Ce qui me frappa dès que j'eus franchi le seuil d'Etchegorria, c'est que tout respirait le bonheur. Les domestiques étaient prévenants ; de petits oiseaux chantaient dans une cage laquée ; les fenêtres ouvertes laissaient entrer le soleil qui passait à travers d’énormes mimosas. »

C’est Mme Lee qui tient d’ailleurs le registre de comptes de la maisonnée.

Sur cet extrait indiquant les dépenses de février 1902, on note que la famille était à Cambo-les-Bains et effectuait ses achats chez des enseignes connues comme Noblia ou Boudon.

Eugène Rostand

Plus tard, Eugène Rostand, le père d’Edmond rejoint la famille à Arnaga pour des raisons de santé ; il s’y éteint en 1915. Humaniste, engagé, poète, journaliste, il eut un impact considérable sur la vie de son fils. Il lui transmit les valeurs de partage et d’amour du prochain, traduites en poème :

« (…)

Souviens-toi que ta vie eut un rose matin,

Une aube claire, et pense à ceux dont le destin

Est depuis le berceau, pénible, triste, sombre,

Qui n'ont pas eu d'amour et n'ont connu que l'ombre,

Souviens-toi que ce sont tes frères... va vers eux...

Pauvres déshérités innocents.(…) »

Loisirs et occupations d'une famille bourgeoise

A Cambo-les-Bains, Edmond Rostand s’adonne à ses passe-temps favoris : la marche, l’équitation, la bicyclette et l’automobile. C’est au cours d’une de ses promenades à cheval qu’il découvre les terres qui deviendront le domaine d’Arnaga.

Rosemonde Gérard et ses deux fils sortent également à cheval dans les alentours. Jean Lamarque, qui les a croisés maintes fois sur la route de Larressore, les décrit ainsi : « Les deux enfants montaient admirablement à cheval ; parfois, les mignons cavaliers encadraient une de ces amazones dont la vision est devenue si rare sur nos routes modernes ; celle-ci, toute grâce et toute distinction, s'appelait : Rosemonde Gérard.. » (Edmond Rostand, une vie. «Une famille extraordinaire» de Pierre Espil (ed. Mondarrain, 1998))

crapette

vélo

Edmond Rostand, féru d’innovation, est un adepte des véhicules à moteur. Il acquiert successivement plusieurs voitures : une 15 HP Torpédo de la Société Française de la Daimler Motor  un double phaéton de la même marque et un autre de la luxueuse marque Delaunay-Belleville ou encore une limousine fermée de la marque Renault. Le double phaéton est une automobile comportant deux banquettes se faisant face à l'avant.

C’est à bord de ces véhicules qu’il effectue ses voyages à Paris que la presse évoque avec force détails. Pour relier Cambo à Paris, L’Action française détaille en 1909 : « Il avait couvert  900 kilomètres en 22 heures, s'étant arrêté quelques minutes à Angoulême et une heure à Tours, pour déjeuner

inventaire véhicule

Extrait de l'inventaire de 1919 dressé au moment de la vente d'Arnaga.

L’escrime est également un loisir qu’affectionne Edmond Rostand. Maurice et Jean y sont initiés par un professeur, M. Hilbert. Des tournois sont régulièrement organisés et présidés par le couple Rostand.

 « Il s’appelait M. Hilbert et devait nous apprendre, en vue de je ne sais quels duels futurs, le fleuret, l’épée et même le sabre ! Nounou en était éblouie ! Nous eûmes des gants, des masques hermétiques avec lesquels on ressemblait au Masque de Fer et des espèces de vestes en forme de cuirasse sur lesquelles s’arrêtaient les épées mouchetées. » Maurice Rostand (Confession d’un demi-siècle. Ed. La jeune parque (1948))

escrime

Enfin, la chasse et la pêche sont deux autres passe-temps auxquels s’adonne le poète parfois accompagné de son acteur fétiche : Constant Coquelin. Le Musée possède la canne à pêche du premier interprète de Cyrano de Bergerac présentée pour la première fois.

En famille, jeux, théâtre de marionnettes et musique sont des occupations régulières. Edmond Rostand,  lui-même, se met en scène pour amuser ses enfants.

Jean Rostand, quant à lui, pratique dès l’enfance la chasse aux papillons et fouille le sol à la recherche d’insectes à observer. Paul Faure relate sa première rencontre avec Jean, « Quant à (…) Jean, (…) nous le trouvâmes au fond du jardin, étendu par terre, couché, vautré. Armé d'un couteau de table à manche de vermeil qu'il avait dû prendre dans quelque écrin de la salle à manger, il fouillait éperdument le sol.Celui-ci, me dit son père, a la passion des insectes. »

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